FRAGMENTS D'ECRITURE

 

Didier LOUIT

 

 

 

 

EXTRAITS

 

 



ACADEMIE

 

(Dissertation académique, extrait, 1743) 

 

 

DISSERTATION SUR UN ANCIEN USAGE 

 

Lue dans l’académie deTroyes

1743

 

Par Mr.***L’un des sept académiciens

 

 

   L’histoire nous apprend, Messieurs, les guerres, les victoires et les défaites des nations les plus célèbres de l’antiquité ; mais par une fatalité dont a droit de se plaindre, regardant comme au-dessous d’elle la connaissance des mœurs et des usages, elle semble l’avoir abandonnée aux conjectures et disputes des Brissons, des Seldens, des Lipses et des Saumaises.

     Une Académie telle que la notre, s’exposera-t-elle à recevoir de la postérité un pareil reproche ? Non, Messieurs ; Et c’est en mon particulier pour l’éviter, que j’ai consacré quelques veilles à la dissertation que j’ai l’honneur de vous présenter.

     Elle a pour objet l’usage antique de faire dans la rue du Bois ; l’acte naturel et nécessaire anciennement appelé chez les Hébreux : hesich raglav ;depuis chez les grecs : cexein ; chez les Latins : cacare ; maintenant en Allemagne : Scheissen ; en Angleterre : to shite ; en Italie comme chez les Romains : cacare ; en Espagne : cagar ; et qu’en France nous exprimons communément par le mot chier ; c’est-à-dire, que je vais avoir l’honneur de vous entretenir sur l’usage de chier dans la rue du Bois. […]

     Elle (la rue du Bois) a sept toises de largeur ; au milieu coule un ruisseau qui la divise en deux parts égales : c’est sur les bords de ce ruisseau, que tout âge et tout sexe vient payer le tribut journalier auquel la digestion le soumet.

     Voici le cérémonial qui s’observe en ces occasions : on se place d’abord de manière que l’on ne soit tourné, ni du côté de l’Orient, ni du côté de l’Occident ; on lève où l’on abaisse les linges et vêtements qui couvrent les parties évacuantes ; on s’accroupit, les deux coudes posés sur les genoux, et la tête appuyée dans le creux des mains ; l’évacuation faite, on se r’habille, sans se servir de linge ni de papier ; on regarde ce qu’on a fait, et l’on s’en va.

     L’éloignement que l’on a maintenant pour la vue et pour l’odeur d’un étron, n’est point un sentiment naturel ni raisonnable ; c’est sur quoi tous les savants sont d’accord ; c’est aussi ce que veut dire l’Empereur Marc-Aurèle Antonin, par cette belle pensée : Que l’odorat doit recevoir également toutes les odeurs, et que le sage ne méprise ni ne dédaigne rien sur le rapport de ses sens. C’était en effet par ces grands principes, que l’on se conduisait dans les premiers temps du monde ; l’homme était trop persuadé de la noblesse de son être, pour penser que quelque chose, qui sortait de lui-même, et qui en avait fait partie, pût être un objet de mépris.

     On parlait donc sans périphrase et sans façon, de tout ce qui a rapport à l’action de chier. Si l’on se sentait pressé d’un besoin, on le satisfaisait sans scrupule au milieu des rues, et sous le nez des passants ; et la manière de chier étant alors chez presque tous les peuples un point de religion, comme je le prouverai par la suite, il est à croire, que si en pareil cas, les assistants s’écartaient un peu, c’était moins par un mouvement de répugnance, que par un sentiment de respect.

     Les Juifs chiaient dans les rues, c’est un fait qui n’a pas besoin de preuve ; ils avaient reçu de nos premiers parents l’usage de chier en plein air. Mais comment chiaient-ils ? Précisément comme on chie dans la rue du Bois ; c’est-à-dire, en s’accroupissant, et se tournant invariablement du côté du Nord ou de Midi.

     Pendant longtemps, ils n’eurent sur cet usage, d’autre loi que la tradition ; mais Jérusalem ayant été détruite et la nation dispersée, les Rabbins appréhendèrent que cette pratique ne fût pas conservée aussi précieusement qu’elle le mérite ; c’est pourquoi ils l’ordonnèrent précisément dans leurs livres. Ecoutons le savant Akiba, c’est lui qui va parler. Akiba a dit : « j’ai appris trois choses. La première, qu’il ne faut pas se tourner de côté de l’Orient, ni du côté de l’Occident, mais bien du côté du Nord ou du Midi. La seconde, qu’il ne faut pas se trousser debout, mais quand on est accroupi. La troisième, qu’il ne faut pas se torcher le derrière avec la main droite, mais avec la main gauche… Tels sont les mystères de la loi. […]

     La manière de chier des anciens Egyptiens n’était pas concertée avec moins de précautions. Aux repas que donnaient les rois d’Egypte des premières dynasties, on apportait un vase d’or ou d’argent, pour que tous les conviés y chiassent. Diodore de Sicile nous apprend que, dans le cours ordinaire de la vie, les Egyptiens chiaient en plein air, en se tournant invariablement du côté du Nord ou du Midi ; et nous voyons dans Pline le Naturaliste, que les Mages avaient grand soin de leur recommander cette pratique. Ce peuple qui produisit les premiers philosophes et les premiers sages de l’univers, regardait tous les pets et toutes les vesses comme autant de divinités, et il les adorait avec une espèce de transport. Il honorait aussi d’un culte spécial et particulier l’escarbot ou fouille-merde. Cet insecte qui naît dans la merde, qui s’en nourrit, et qui s’amuse à en faire des pilules, était pour les Egyptiens l’image du monde, du soleil, d’Isis, D’Osiris, en un mot, le nec plus ultra de la divinité. [………..].

    

     Tant que les Curius et les Camilles cultivèrent eux-mêmes le champ de leurs pères, et y vécurent de racines, Rome, simple et modeste comme eux, chia sans faste, sans raffinement, sans mollesse. On se contenta du plaisir que la nature attache au besoin de chier, sans vouloir l’augmenter par une propreté mal entendue : je veux dire qu’on ignora l’usage des torcheculs. Mais après la ruine de Carthage, Rome n’ayant plus d’émule, tout à coup ses vertus dégénérèrent ; le raffinement en tout genre fut porté à l’exès ; et par un luxe avant-coureur de la décadence de la république, les culs des Romains, qui n’avaient jamais été torchés, commencèrent à l’être.

     Ce ne fut pas seulement sur les premiers de Rome que ce luxe énorme exerça son empire ; tout le peuple voulut s’accoutumer à cette sensualité ; ce fut comme une peste qui frappa sans distinction tout sexe, tout âge et tout état : Quasi pestilentia invasit, nous dit Salluste.

     On plaça donc alors, pour la commodité du public, des éponges dans toutes les rues. Ces éponges étaient attachées chacune au bout d’un bâton, comme nous l’apprenons par un fait que Sénèque nous a conservé. Un criminel que l’on conduisait au supplice, ayant demandé la permission de chier devant le peuple, et l’ayant obtenue ; au lieu d’employer l’éponge et le bâton à l’usage ordinaire, il se fourra l’un et l’autre dans la gorge, et s’étouffa. [………..].

 

     Je finis par une réflexion qui me parait concluante. Nous voyons des gens élevés avec soin, versés dans les sciences et répandus dans le monde ; c’est-à-dire, voguant à pleines voiles sur l’océan des idées fausses et du préjugé, en qui néanmoins la nature plus forte, laisse encore éclater un goût décidé pour la merde. J’en connais plusieurs que je pourrais vous nommer, en qui ce goût pour la merde est si puissant, qu’il ne vont jamais sans en porter un peu avec eux ; non pas à la vérité dans des vases d’or ou d’argent, comme les convives des premiers rois d’Egypte, et quelques uns d’entre les Romains ; mais du moins après la chemise et dans les vêtements. *

    

     *Il s’était élevé dans l’Académie une dispute assez vive, au sujet de la dissertation qui précède. Quelques académiciens prétendaient que l’auteur avait donné trop d’extension à son système, qu’il avait présenté comme général un usage qui n’était que particulier à certains peuples et dans certains cas ; on l’accusait même d’avoir dissimulé les autorités qui lui étaient contraires. Cette dispute donna lieu à la dissertation suivante, qui concilia tous les partis.

 

 

 

 

AUTRE DISSERTATION SUR LE MEME SUJET

 

Lue dans l’Académie de Troyes

1743

Par Mr.***l’un des sept académiciens.

 

 

     La question qui divise l’Académie se réduit à savoir : si l’usage de chier en plein air était universel chez les anciens peuples ; si, quand ils chiaient devant le monde, était par choix, ou parce qu’ils étaient trop pressés ; enfin s’il est bien vrai que naturellement nous aimions la merde. Les autorités que j’ai recueillies sur ces trois objets, mettront l’Académie en état de juger, et termineront, à ce que j’espère, tous débats.

     Les Hébreux appelaient par pudeur les fesses Scheth, du verbe Scâth, poser, parce que, dit Buxcorf, elles sont le siège où l’on se pose. Ils appelaient aussi l’action de chier, se couvrir les pieds, parce qu’en effet, ils se les couvraient avec leurs longues robes, quand ils s’accroupissaient pour faire un besoin naturel. Durant leur séjour dans le désert, il leur fut ordonné d’avoir un lieu marqué, hors du camp, pour y aller chier, et d’y porter avec eux un petit bâton, pour enterrer ce qu’ils auraient fait. Diodore de Sicile est en contradiction avec Hérodote sur la manière de chier des Egyptiens. Si le premier nous dit qu’ils chiaient en plein air, en se tournant invariablement du côté du Nord ou du Midi, l’autre nous assure au contraire, qu’ils mangeaient dans la rue, et qu’ils chiaient dans la maison. Peut-être pourrait-on concilier ces deux auteurs, en disant que les Egyptiens avaient chez eux des terrasses où ils allaient chier en plein air, et avec les cérémonies requises ; mais il faudra toujours convenir qu’ils n’étaient point dans l’habitude de chier devant tout le monde.

     Les Grecs avaient dans leurs maisons des endroits destinés à cet usage. Ils les appelaient afedjvn à seorsim sedendo ; ce qui revient assez à notre expression française, de lieux secrets. Ils appelaient aussi l’action de chier apopatein se retirer à l’écart. On peut voir sur cela savant Custer, dans ses notes sur la Comédie d’Aristophane, intitulée l’Assemblé des Femmes. Il relève à ce propos dans la traduction latine du célèbre le Fèvre de Saumur, un mot qui semblait favoriser le système de mon confrère.

     Cette même Comédie me fournit deux exemples pour éclaircir la question ; Blephyre, mari de Praxagore, appelé par un de ses voisins pour aller au Sénat, sort dans la rue, et y fait ce monologue. « Qu’est donc devenue ma femme ! Il n’est pas encore jour et elle ne paraît point… Pour moi il y a longtemps que je suis dans mon lit, mourant d’envie de chier, et cherchant à tâtons mes souliers et mon manteau. Après avoir bien cherché sans rien trouver, et entendant mon voisin Copraeus qui heurtait à ma porte, ma foi j’ai pris la robe et les mules de ma femme… Mais ne pourrait-on pas chier ici dans quelque endroit à l’écart ? Après tout il est encore nuit ; je crois qu’on peut chier partout. Qui est-ce qui me verra ? »

     Le second exemple, est le résultat des règlements que les femmes viennent de faire pour rétablir le bon ordre dans la république ; elles ont statué qu’à l’avenir toutes les femmes seraient communes, mais qu’on ne pourrait prétendre aux faveurs d’une jolie personne, qu’après avoir passé par les mains d’une vieille ou d’une laide. En conséquence, deux vieilles se sont emparées d’un jeune homme qui fait tous ses efforts pour se débarrasser d’elles. « Mais du moins, leur dit-il, laissez-moi aller chier pour reprendre un peu mes sens, ou bien je vais tout me gâter. Prenez courage, lui répondent les deux vieilles ; entrez toujours, et vous chierez dans la maison.

     Les Romains étaient dans le même cas que les Grecs. L’endroit où ils faisaient leurs besoins naturels se nommait quelques fois, comme en français, les lieux, Loca ; d’autres fois Cacabulum, mais plus communément, Latrine. Latrina, dit Vossius, à latendo, se cacher. Les Latrines étaient sous la direction d’un Grand Prêtre, homme fort important, à juger de lui par la manière dont on en parle Tertullien : Latrinum antistes sericum ventilat ; le Grand Prêtre des Latrines fait voltiger sa robe de soie.

     Elles étaient comme autant de Chapelles consacrées à la Déesse Cloacine, et dont l’asile ne fut violé qu’en la personne d’Héliogabale qu’on y tua. Le jour de la fête de cette Déesse, toutes les Latrines étaient couronnées de fleurs ; et peut-être les étrons, qui se trouvaient épars dans les rues, avaient-ils aussi le bouquet sur l’oreille.

     J’en ai dit assez pour démontrer que tous les anciens peuples ne chiaient point en plein air, et qu’ils chiaient encore moins devant le monde. Examinons si nous aimons la merde.

     Peut-on soupçonner les Hébreux de l’avoir aimée, quand on voit les précautions qu’ils prenaient pour la cacher ? Une preuve que les Grecs ne l’aimaient point, c’est qu’il était défendu chez eux de chier ni de pisser dans les fontaines. Si l’Empereur Commode en mangeait, on peut dire que c’était un homme de mauvais goût. Il est vrai que les auteurs latins parlent de merde en cent endroits de leurs ouvrages ; mais les meilleurs auteurs en parlent avec beaucoup de mépris. Catule, voulant avilir les Annales de Volusius, les appelle des papiers merdeux, Annales Volusî, cacata carta. Dans Horace, Priape racontant les affreuses cérémonies qu’il a vu pratiquer à la Sorcière Canidie : si je mens, dit-il, je consens que ma tête soit souillée de la merde des corbeaux ; que Julius, que la faible Pediatie, le voleur Voranus viennent chier et pisser sur moi. On pourrait trouver mille exemples de la même force qu’il est inutile de rapporter. Concluons donc, contre le sentiment de mon Confrère, que le goût de la merde n’est point naturel à l’homme.

 

(Mrs*** de l’académie de Troyes, « de la manière de chier », 1743)

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